LE COMTE DE SAINT GERMAIN - ENTRE MYTHE ET REALITE

LE COMTE DE SAINT GERMAIN
ENTRE MYTHE ET RÉALITÉ
INTRODUCTION
Mes recherches sur le comte de Saint-Germain m'avaient amené à Eckernfoerde, un petit port allemand du Schleswig Holstein où il avait été enseveli le 27 février 1784, âgé de plus de quatre-dix ans ? Dit-on, car loe cercueil était vide..
Le spécialiste en linguistique appliquée qui m'attendait devant l'église abbatiale Saint-Nicolas où s'étaient déroulées les obsèques me confia dans un français approximatif que l'homme que je recherchais reposait à Münster, dans le parc de la princesse Galitzine. Le temps que je prenne conscience de cette révélation, le mystérieux personnage avait disparu.
C'est ainsi que je suis parti à la recherche de cet homme pour découvrir qu'il s'agissait de Johann Georg Hamann, citoyen de Koenigsberg, la capitale de la Prusse-Orientale, une ville détruite durant la Seconde Guerre mondiale, fuie par ses habitants puis repeuplée de Russes pour devenir Kaliningrad après la guerre. Hamann était prussien, mystique et érudit, chevalier Rose-Croix, père du romantisme allemand, opposant de l'Aufklarüng, vieux maître de Goethe, Kant, Herder, surnommé le Mage du Nord, mort en…1788.
Cette piste m'entraîna ensuite dans les arcanes de l'espionnage et de la confrérie du secret au Siècle des Lumières, dans ces mondes fermés où se décidait le sort de l'Europe et des grandes nations.
Il apparut que l'Allemagne abritait alors deux mages : F. C. Oetinger° au Sud et J.G. Hamann au Nord - tous deux ralliés aux Rose-Croix, partageant le même but : Influencer les piétistes allemands et les cercles maçonniques, mission typique des agents d'influence qui parcouraient l'Europe.
Il ne reste de cet homme qu'une émanation, le fantôme d'un comte mythique qui se manifesta en France en 1760 sous le nom de Saint-Germain, certains le voient comme un errant en quête d'identité.
Le personnage figure pourtant parmi les êtres doubles tels Giuseppe Balsamo alias comte de Cagliostro ou Giovanni Giacomo Casanova alias comte Farusi, alias chevalier de Steingalt, pour ne citer que les plus connus, tous agents secrets ou contractuels au service des souverains et des ordres puissants alors en pleine expansion.
Pourquoi ne fallait-il conserver que le pâle reflet d'un petit fonctionnaire piétiste aux idées révolutionnaires, auteur d'opuscules sibyllins ? Car c'est tout ce que l'on a retenu de lui et personne n'a jamais osé lever le voile sur les lacunes de ses mémoires, ni sur les mystères qui l'entouraient déjà de son vivant, et encore moins sur les appartenances philosophiques de ses compagnons. On ne parla de rien ! On n'enquêta pas et c'est justement cette forme d'omerta qui joua le rôle de déclencheur qui m'incita à raconter cette histoire en sachant qu'elle ne ferait pas l'unanimité, mais peu m'importait. Et ce fut pire encore si j'en avais révélé l'étrange métaphysique car aussi abstraites étaient mes spéculations au départ, elles allaient cependant aboutir à la résolution d'une énigme séculaire ainsi que la résolution d'un problème réel. Je ne pense pas que j'étais encore aux manettes par la suite.
Les éléments dont je disposais ressemblaient toutefois à un puzzle historique où chaque pièce dissimulait des divulgations involontaires qui apportaient – dans la mesure où le me donnais la peine d'enquêter, de recouper les sources – pour découvrir la preuve d'une manipulation de date. C'est ainsi que les portraits datés du personnage, censés représenter un homme de vingt ans, me montraient un quinquagénaire – et la liste était loin d'être exhaustive. Le seul portrait connu du comte ayant disparu, il ne reste qu'une gravure le représentant en aristocrate richement vêtu ce qui révélait la classe sociale d'un individu attaché aux fastes de la vie de cour, mais en fait, ce portait était une réplique inversée horizontalement montrant Hamann en vêtement de voyageur. Les deux visages ne permettent aucun doute : Ils correspondent, ce qui méritait une petite vidéo ou je superpose les deux images par transparence afin d'apporter la preuve de mes assertion en montrant un phénomène observable ! Voyez ci-dessous
Je vous réserve avec le plus grand plaisir la primeur de cette thèse dans l'espoir d'en finir avec les sempiternelles analyses réductrices des phénomènes complexes, paranormaux, et les théories absurdes publiées à ce jour.
°Dès le Ier siècle apr. J.-C., les mages étaient déjà des sages et des prophètes qui pratiquaient la magie, les sciences occultes. Friedrich Christoph ŒTINGER - †1782 - apparaît comme le père de la théosophie chrétienne en Souabe. Tout comme Hamann, il s'occupe d'alchimie, s'intéresse à Swedenborg, insiste sur l'expérience et la perception, au détriment des mathématiques pures et de la logique aristotélicienne
EXTRAIT
La légende du comte de Saint-Germain commence à Londres en 1745 où il fait son apparition en plein conflit dynastique. Il réapparaîtra douze ans plus tard sur l'échiquier politique de la France et franchira le portail des palais. Ce personnage unique en son genre, à la fois étrange et génial, éveille la curiosité par son origine inconnue, son accent étranger.
Saint-germain possédait la mémoire des siècles. A la fin de sa vie, il se plaindra de ce faix.
Il prophétise. Peut-être lit-il dans l'au-delà les événements à venir ? Il est vêtu très sobrement mais porte des pierres précieuses. Il joue du violon à ravir, dit Rameau, et il peint agréablement. C'est aussi un maître de la chimie des colorants. Il fabrique lui-même ses couleurs et possède des secrets de teintures que des escrocs sans scrupules tenteront de lui ravir notamment à Tournai, en Belgique, où il tentera d'implanter une fabrique de teinture. Hélas, malgré tous ces efforts, il connaîtra l'échec.
Louis XV testera ses capacités en lui demandant de traiter des perles par l'alchimie. Lorsque Saint-Germain les lui rendra, elles auront perdu leur impureté. 1A Paris, il logera au 101 de la rue de Richelieu, chez la veuve du financier Lambert, un des pôles élégants de l'époque. Soulignons qu'il se retirait toujours en Allemagne et notamment dans le Nord, en Prusse orientale. Ce point est important, car on pouvait alors se réfugier sans risque dans cet état protégé2.
.De plus, le roi était protestant. Du Brunswick jusqu'à la mer du Nord, l'Allemagne est une immense plaine aux horizons lointains sous un ciel strié de vols d'oiseaux sauvages, c'est un paysage mélancolique fait de couleurs pastel, de bruyères roses et rouges, de buissons de genévrier et de bouleaux. Quelques troupeaux paissent dans les herbages…non loin de la mer, des îles de la Frise…Ce pays était aussi la terre du landgrave de Hesse qui devint son disciple, recevant ses archives et un testament qu'il détruira.
En Allemagne, il est considéré comme un des promoteurs de l'industrie du textile.
Le mage engendrera un mythe ainsi qu'une mythomanie. Le dernier faux Saint-Germain, compagnon de la chanteuse Dalida -Richard Chanfray- mourra en 1983 dans des circonstances mystérieuses. Il y en eut d'autres, tous victimes d'une création mentale mais possédant une partie des talents du maître dont ils croyaient être la réincarnation.
Les hypothèses sur l'identité sont mal étayées. Beaucoup d'auteurs ont inventé de toutes pièces les détails qui leur manquaient. L'incognito a beau exciter l'imagination, reconstruire un temple à partir d'un simple morceau du fronton - méthode digne des corrélations - reste une entreprise aussi hasardeuse que de reconstruire des passages de la vie d'un personnage d'après des bribes de sa correspondance.
Si les initiés de haut rang utilisaient un ou plusieurs nomen, un langage codé, ils ne le faisaient pas sans raisons, mais comme elles échappent à tout jugement - donc à notre entendement - on les rejette.
Des clubs d'archaïsants utilisèrent l'image d'un Saint-Germain aux pouvoirs surnaturels et en firent un être magique surgis de nulle part. Les théosophes le désignèrent comme un de leurs chefs, des mouvements se réclamèrent de son inspiration et tout le monde s'accommoda de cette fantasmagorie nourrie d'une production littéraire aussi cocasse que romanesque. James Wedgwood, évêque d'une de ces églises libérales fondées par la société théosophique avait établi en Europe et en Australie des centres maçonniques et occultes se revendiquant du maître Racozy (- le comte de saint-Germain de la hiérarchie occulte1.)
Au début du siècle, les Etats-Unis accueillaient favorablement les doctrines mystérieuses. Des groupes se formèrent et prirent de l'extension grâce aux gens en quête d'émotion et facilement impressionnables par les décors enténébrés. Certains de ces groupements n'étaient en fait, comme le souligne Alexandra David Neel2, que des trappes à gogos.
1 Règle 22. - Il est défendu de faire des perles et des pierres précieuses plus grosses que celles qu'on voit.
2 Au XVIII ème siècle, la Prusse était un état divisé en 12 provinces fortement militarisées (4 % de la population faisait partie de l'armée) Koenigsberg, vieille ville des frontières nord-est de l'Allemagne, était la capitale de la Prusse orientale et la ville natale de Johann Georg Hamann, le mage du nord.
1 Sources non vérifiées figurant pge 803 du dictionnaire des francs-maçons français ( paru chez J.C. Lattes)
2 A.D.Neel était membre du Droit Humain et de la Société Théosophique
Le résumé de Pierre Klossowski nous servira de procédure d'approche.
Voici comment il représente Hamann :
« En 1756, écrit -il, les frères Berens, négociants de Riga, chargeaient d'une mission à Londres un jeune homme de leur connaissance, Johann Georg Hamann. Né le 27 août 1730 à Kcenigsberg, fils d'un chirurgien, il avait reçu, au sein de l'ambiance piétiste de sa famille, une instruction dont le caractère à la fois indigeste et sans ordre aurait selon lui contribué à développer la discontinuité de son tempérament. Une « curiosité naïve pour toutes les formes d'hérésie », sa connaissance de l'hébreu et son goût pour l'exégèse comme pour les problèmes du langage l'avaient poussé d'abord à l'Université, mais un défaut d'élocution, une mémoire déficiente, beaucoup de dissimulation et de restriction mentale, prétendra-t-il plus tard, auraient été pour lui autant d'obstacles à poursuivre des études régulières de théologie. De nouvelles inclinations, une sorte de dilettantisme esthétisant menaçaient de le disperser. Puis venu se soumettre de nouveau à une discipline intellectuelle, il avait fait des études de jurisprudence.
Sous prétexte de sauvegarder son indépendance matérielle, il avait cru devoir se faire précepteur et avait exercé cette fonction successivement en Livonie et en Courlande, au milieu des malentendus et des querelles avec les parents de ses élèves. Intérieurement agité, insatisfait et incapable de se supporter lui-même, avec l'orgueil de s'en faire une énigme, tel est Hamann quand ses amis Berens lui offrent un voyage à Londres afin de se distraire et de s'en revenir avec plus de considération et de savoir-faire. Ce voyage se présente donc sous la forme d'une épreuve ; on lui demande de recouvrer une dette et il apparaîtra plus tard comment, Hamann s'étant endetté lui-même, cette circonstance va prendre une signification spirituelle. Une fois à Londres, on s'étonna, écrit-il lui-même, de l'importance de cette dette, davantage du mode de recouvrement envisagé, et le plus peut-être du choix de la personne à qui on l'avait confié. Inapte à prendre quelque initiative dans ce domaine, se complaisant bientôt dans l'inaction et la dissipation, il se trouve rapidement à bout de ressources : Seuls l'imagination d'un chevalier errant et les grelots de mon bonnet de fou constituèrent ma bonne humeur et mon courage héroïque.
Quand, rappelé par les Berens, il rentre à Riga, c'est un autre homme ; ou plutôt, c'est le même, non plus vulnérable mais armé de pied en cap de tous ses défauts de la veille ; qu'est-il arrivé ? Au dernier degré de la dépression, Hamann, à Londres, soudain s'est mis à relire l'Ecriture sainte. Il a compris que Dieu avait assumé ses dettes, et qu'en
:lui accordant sa grâce, il avait manifesté sa puissance dans la faiblesse de l'insolvable. C'est pourquoi, quand ceux qu'il aurait dû décevoir par son incapacité pratique l'accueillent non seulement avec indulgence mais avec affection à son retour, cette indulgence lui sera aussi insupportable que la miséricorde divine avait été fortifiante. Il éprouvera le besoin de remettre à son protecteur une confession pour lui communiquer son expérience spirituelle, mais osera d'autre part demander la main de la sœur de Berens. Comme ce dernier ne peut s'empêcher de voir dans cette demande une impudente façon de tirer les conséquences de la grâce justifiante, et dans sa conversion même un moyen de monter en épingle son échec à Londres,' il s'ensuit une singulière querelle. Hamann se retire, mais c'est une retraite victorieuse, car ses arguments auront suffisamment atteint la susceptibilité de ses contradicteurs pour que ceux-ci lui envoient des parlementaires jusque dans ses retranchements : l'un d'eux n'est autre qu'Emmanuel Kant. Par cette confrontation avec le « Lucifer de l'aurore métaphysique », Hamann est amené à développer une forme insolite et personnelle de discussion sur les questions dernières de l'existence qui inspirera Kïerkegaard. Déchaîné par un incident à la fois pénible et burlesque de sa vie privée, le génie de Hamann se donne libre cours, tantôt dans des pamphlets tels les Mémorables socratiques (1759), qui ne seront qu'un singulier commentaire métaphysique et religieux de la querelle précédente sous forme d'un portrait de Socrate, tantôt dans des opuscules comme les Lettres hellénistiques et les Croisades d'un philologue concernant des questions d'exégèse et contenant la célèbre -,Esthetica in Nuce (1762) dont l'influence fut révélatrice pour des esprits comme Herder et Goethe. Ou encore dans les Dernières déclarations du chevalier Rosenkreuz sur les origines divines et humaines du langage, suscitées par sa controverse avec Herder (1772-1776) ; dans sa Métacritique de la Raison pure où il définit son opposition à Kant, dans son Golgotha et Scheblimini où il attaque le déisme humanitariste de Mendelssohn au nom de la tradition hébraïsante de la Réforme luthérienne ; enfin, dans sa Lettre Volante où il dresse le bilan de sa « prédication dans le désert ». Mais c'est surtout dans sa vaste correspondance avec Herder, avec Jacobi sur qui il exerce une influence immédiate, avec Lavater ou avec ses familiers, que l'expression de Hamann est encore la plus accessible, sans être moins stimulante que ses opuscules, et que l'on voit le mieux vivre son esprit : Hamann a poussé jusqu'à un humour délirant la référence de l'instant vécu à quelque citation appropriée de l'Écriture. Au lendemain de la mort de son père dont il s'était fait entretenir après sa brouille avec les Berens, il avait fait un mariage de conscience avec la servante de la maison paternelle dont il eut deux fils. Kant lui avait procuré une situation de secrétaire d'administration et de secrétaire-traducteur des Douanes dont le médiocre salaire ne pouvait suffire à l'entretien de son foyer. Son existence matérielle paraissait désespérée, quand un jeune homme fortuné qui le vénérait, le baron Buchholz de Wellbergen, le pria de l'adopter pour son fils et le dota d'un capital destiné à l'éducation de ses enfants. En 1787, Hamann se rend en Westphalie, à Münster, auprès de ce fils adoptif, et à Düsseldorf auprès de Jacobi ; le « Mage du Nord » y était attendu et fut reçu par tout un cercle de « belles âmes » que présidait la princesse Galitzine. Il est frappant de constater que la carrière de Hamann se soit à peu près terminée comme elle avait commencé : dans la dépendance qui allait lui rendre une fois de plus intolérables l'affection et les bienfaits d'autrui. On l'a vu au début rompre cette dépendance en affirmant la liberté de sa personnalité géniale. Et maintenant que cette personnalité exerce son autorité sur des êtres, il ne tolère pas davantage que ce soit des êtres compréhensifs qui lui fournissent les moyens de l'exercer librement. Serait-ce donc qu'il ait été indispensable à sa nature de paraître avoir tort devant les hommes pour se sentir fortifié et justifié par le Seigneur ? Toujours est-il qu'au bout de quelque temps, après avoir, paraît-il, suffisamment pratiqué envers Jacobi sa maïeutique : troubler les autres dans leur croyance, il quitte brusquement sa maison pour celle de Wellbergen dont Jacobi dira plus tard que Hamann a probablement payé de sa vie les bienfaits qu'il lui devait. Il meurt le 2o juin 1788, à Münster, où la princesse Galitzine l'ensevelit dans son parc. »
« Cela est si simple qu'on croirait inutile de le remarquer ; mais souvent les choses les plus simples échappent précisément parce qu'elles sont simples ; nous dédaignons de les observerCONDIL. Log. I, 4. »
4 Ce livre de P. Klossowski est paru aux éditions Fata Morgana sous le titre - Johann Georg Hamann Le mage du nord.
Autre extraits
[...]
Et comme les aristocrates ne dédaignaient pas de s'entourer des mages, la noblesse vint à lui…
Les bibliothèques de Bucholtz, à Münster, ainsi que celle de la princesse Gallitzine et de Jacobi, à Pempelfort servaient désormais de refuge au vieux maître qui ne vivait plus que de ses pensées parmi les rayons chargés de volumes. Tous voulaient lui être agréable lorsqu'il s'intéressa à l'œuvre de Giordano Bruno et aux manuscrits de Diderot, un ami du prince.
Durant l'année 1786, alors que la discussion s'attardait sur Casanova qui venait de publier le « Soliloque d'un penseur », dirigé contre Cagliostro, on l'informa que l'aventurier s'était installé en Bohême, en qualité de bibliothécaire, chez le comte Waldstein4, un seigneur Franc-Maçon et qu'il y écrivait ses mémoires.
«En écrivant dix à douze heures par jour, confiera-t-il à la postérité, j'ai empêché le noir chagrin de dévorer ma pauvre existence ou de me faire perdre la raison »
Allemagne 1786
Alors que tous attendait la mort de Frédéric II à la fois dans la crainte et l'anxiété, le mage était persuadé que sa disparition changerait le signe de sa destinée… encore des propos énigmatiques…
Il s'était donc attiré la sympathie des plus jeunes frères, tous partagés entre la science, la philosophie, la littérature, et qui voyaient en lui source de lumière et d'inspiration.1
Il y avait aimantation et attraction réciproques.
Herder et Jacobi 2 en parlaient désormais comme du messie, celui qui devait venir en pleine possession des mystères et de leur splendeur. Ils se présentaient d'ailleurs comme les membres d'une loge maçonnique qui ont des comptes à rendre à leurs supérieurs, lesquels sont censés atteindre au cœur de tous les profonds secrets de Dieu et de la Nature.
Tous se regroupaient chez le vieux maître qui pratiquait largement l'hospitalité comme l'avait fait naguère son père. La petite maison ne désemplissait pas si bien que le salon se transformait souvent en loge d'étude. En retour, le vieil homme acceptait volontiers l'hospitalité des frères qu'il aidait de son mieux. Ils l'entouraient comme les apôtres entouraient Paul, réchauffant ainsi leur ardeur auprès de celui qui avait reçu le privilège des paternités spirituelles.
L'éloquence du maître était à la hauteur de son âme même s'il lui arrivait encore de gronder par moments. ( Ro 8, 31,39 - 1 Co 1, 19, 20 )
Jacobi avait accueilli chez lui le jeune Wizenmann, fervent admirateur de Hamann et digne représentant de cette jeunesse assoiffée de connaissances qui souhaitait rencontrer le mage. Il s'était intéressé tant à l'œuvre du Mage du Nord qu'à celle de Oetinger, le Mage du Sud. A cette époque, Jacobi - âgé de 41 ans - se consacrait depuis 1772 entièrement à la littérature et à la philosophie. Ses textes se résumaient principalement en lettres, traités sur les points spéciaux de l'enquête métaphysique, et articles dans les journaux philosophiques. De son côté, Herder se consacrait à écrire ses Idées pour une philosophie de l'histoire de l'humanité dans lequel il s'opposait au rationalisme universel des Lumières.
« Les seuls écrits de Hamann sur lesquels on pouvait mettre la main vous rendaient curieux de lire tous les autres dont on ne pouvait retirer que lumière et illumination. »
Le jeune homme sollicita aussitôt la critique du vieux maître pour le livre qu'il venait d'écrire, mais l'auteur de cette anecdote, J. Blum, nous signale que par la suite « aucune correspondance ne s'était établie entre Wizenmann et le vieillard 2, trop absorbé par son travail. » Et plus loin : « Il n'eut pas sur ce jeune clerc dont le développement était accompli l'influence que dans les beaux jours de sa maturité il eut sur l'âme mobile et ardente du jeune Herder ni l'influence décisive qu'il allait exercer sur la princesse Gallitzine. »
Dans une lettre datée du 10 Janvier 1786, Wizenmann s'inclinait devant le génie du maître en l'appelant « Chère père Hamann » mais le jeune enthousiaste fut déçu de l'accueil de Hamann qui n'avait pas eut le temps de lire ses Résultats.
Le jeune écrivain mourut quelques mois plus tard…
Plus l'amitié avec Jacobi devenait intime, plus leur correspondance se vivifiait. Bientôt, Jacobi passa du vous au tu pour ne plus l'appeler que Père. Dans une lettre à Jacobi, le mage écrivait à ce sujet :
« Pauvre Jonathan, tu as fort mal agi à l'égard de tes deux sœurs comme à mon égard. Pauvre Lazare, en infligeant le dur joug, le lourd fardeau d'une amitié aussi virile, d'une passion aussi sainte que celle qui règne entre nous (…) N'as-tu pas remarqué, cher Jonathan, que les deux amazones ne visaient qu'à me faire perdre, à moi, vieil homme, l'honneur de toute ma philosophie(…).
Cette lettre fait partie d'une importante correspondance que Hamann entretint avec Jacobi au cours des dernières années de sa vie. En général, les lettres et autres témoignages émaillés de petits détails relatifs à son âge apportent la preuve que le mage du Nord était bel et bien un vieillard à la merci de la camarde en novembre 1787…
C'est l'époque du bilan.
Son plus vieil ami, Hennings, meurt le 6 juin. La Monarchie française court à sa perte. Le mage est plus las que jamais, découragé à l'idée d'entreprendre le décryptage de son oeuvre.
Après un séjour de quelques mois à Pempelfort, chez Jacobi, il quitta tout à coup la maison. Et en dépit du temps épouvantable de ce mois de novembre 1787, il embarqua dans une voiture de poste pour Wellbergen, une ville partiellement détruite par la guerre de Sept ans.
Ce voyage lui insuffla une nouvelle énergie. De rémission en rémission, il se sentait de nouveau mieux, prenant cette fois le temps d'admirer le paysage en pensant toutefois à son ami Jacobi qu'il avait quitté assez brutalement dans le tourment, persuadé de ne pas mériter l'amour, le dévouement et l'affection de ceux qui l'avaient accueilli comme un ange du ciel, le propre fils
Il vivait ses derniers moments, entouré d'amis sincères qui tentaient l'impossible pour restaurer sa santé défaillante, mais rien ni fit, ni les cures, ni ses traitements, ni l'affection de ses amis. On ne faisait pas de manières. Il n'y avait pas de protocole. Tout cela semblait tellement dérisoire. Le cérémonial en usage différait fort peu de la France où l'on faisait la référence. Les dames saluaient en s'inclinant et se contentaient d'appeler les gens de maison en frappant des mains. Beaucoup de maisons ouvertes se montraient très accueillantes et n'avaient rien à envier à Paris. On se réunissait chaque soir vers huit heures et l'on dégustait un thé excellent avant le souper. Des cassolettes et des parfumoirs1 répandaient leurs vapeurs et petits récipients remplis de vinaigre chaud et de menthe fraîche parfumaient agréablement les pièces. Il y avait aussi des serres remplies de fleurs…
Le mage se souvenait d'un vague voyage en 1762, répondant à l'invitation d'un ami, le comte Rotari, devenu peintre de la cour et qui avait donc ses entrées dans les salons de familles illustres2. Quand on apprit que le mage pouvait rendre leur éclat aux pierres précieuses et aux perles et qu'il acceptait discrètement de leur en faire bénéficier, chacun se disputait sa présence…Il est vrai que Saint Petersbourg était alors le rendez-vous des aventuriers. Casanova y apparut aussi sous différents pseudonymes, comte Farussi 1 ou comte Jacob Kasanow de Fanussi.
Certains tableaux de Rotari décorent peut-être encore le cabinet des Modes et des Grâces du palais de Petershof.
La princesse Gallitzine qui disposait d'une fortune considérable et dont le mage parlait avec la plus grande vénération faisait partie de ces belles âmes qui l'entouraient en permanence.
Il la surnommait affectueusement Diotima faisant allusion à la mystique de l'unité dont parle la Diotima du banquet de Platon, l'Epouse du cantique, initiatrice aux mystères de l'amour.
A moins de le comprendre dans le sens de la maîtrise de soi sans pour autant renoncer aux plaisirs sexuels… ?
En 1788- la princesse Gallitzine âgée de 28 ans avait épousé en secondes noces Boris Gallitzine et se posait des questions pointues sur la notion du couple.
- Quand on est jeune et jolie comme vous l'êtes et à l'aube de la vie, on peut s'intéresser aux mystères et à la philosophie sans pour autant envisager le renoncement, avait sagement conseillé le mage en réponse aux questions de la princesse.
Le banquet de Platon eut recours au mythe de l'hermaphrodisme or le symbolisme alchimique utilise des hermaphrodites, dragons et lions : Lorsque paraît la noirceur dans l'œuvre alchimique, on la représente par un dragon ailé è qui il faut couper la tête, c'est à dire conduire l'œuvre au blanc, autant d'allégories destinées à aider le philosophe à atteindre son but qu'est l'œuvre au rouge.
Toutes ces couleurs qui apparaissent au cours de l'œuvre ne sont en fait qu'une fine pellicule qui recouvre la matière.
Périclès était Franz v. Furstenberg, Curé-Général de Münster.
Périclès méritait d'être rangé par Aristote parmi les âmes d'élite qui fondèrent la politique de leur temps sur un idéal de raison, mais qui s'est aussi heurté à l'ingratitude de la cité..
Le mage avait surnommé Alcibiade son fils adoptif Bucholtz. Ce personnage d'Alcibiade se rattache aux deux plus grandes familles d'Athènes. Il se lia d'amitié avec Socrate, sans que celui-ci n'ait eu de réelle influence sur lui. Homme beau, comblé, riche, intelligent, courageux, il apparaissait comme le digne successeur de Périclès mais son manque de caractère l'entraîna à pratiquer une politique instable qui aboutit à toutes sortes de malheurs.
Tout comme son prédécesseur, le prince de Hesse, la princesse chargea un de ses médecins de s'occuper du mage et de l'assister dans ses préparations médicamenteuses.
Au lendemain de son départ, Jacobi écrivait à Lavater, le 14 novembre 1787 :
« Je n'ai pu trouver le secret de son art de vivre et d'être heureux en dépit de mes efforts. »
Toujours d'après Jacobi, le mage se serait comparé quelques mois avant sa mort à un possédé qu'un mauvais esprit jetterait tantôt à l'eau, tantôt au feu. Il eut un geste bref de la main comme mû par une inspiration subite et s'écria :
— Ah ! Puisse m'apparaître la main, une main qui m'enseigne à marcher sur le chemin de l'existence humaine !
— La main, la main », cria plusieurs fois Jacobi à Hamann.
Telle fut, sous un torrent de larmes, l'une des dernières paroles qu'il lui entendit prononcer…
Cet extrait de lettre que le mage écrivit à Jacobi en dit long sur ses sentiments de cette dernière année de sa vie. Le mage était las des querelles philosophiques et notamment celles qui opposaient ses proches aux Berlinois.
Il n'approuve pas l'attitude hostile de Jacobi vis-à-vis des Berlinois, ni la pitié que Starck1 lui inspire.
Il écrit à Jacobi le 16 mai 1788 : « Ne prodigue pas ta pitié philosophique au profit des forts qui n'ont pas besoin de médecins ( Matthieu, IX,12) ; gardes-en un peu pour tes malheureux ennemis qui, tout en voulant le bien, et malgré la bonne volonté qu'ils ont de faire disparaître des noms et de confondre des éléments hétérogènes, sont tombés très bas et s'enfoncent toujours davantage dans les fosses qu'ils se sont creusées l'un l'autre… Si tu crois nécessaire de te tenir en garde contre les ennemis berlinois, tu as lieu tout autant et bien plus encore de te méfier de leurs ennemis orthodoxes. » ( Lettres, 654)
« Je vis ici, écrit-il encore le 21 mars 1788, dans le giron de mes amis qui répondent aux idéaux de mon âme… J'ai trouvé et je me réjouis de mon trésor comme le pâtre et la femme de l'Evangile ; et s'il est sur terre un avant-goût des joies célestes, ce trésor m'est échu.(…)
Une lettre à la princesse Galitzine écrite en 1787 résume sa philosophie :
« Une soumission volontaire à la volonté divine et un sacrifice de nos opiniâtres désirs, qui, lui est dû, c'est là l'unique et universel remède à toute vicissitude des choses et aux changements des opinions humaines, qu'elles soient pour ou contre nous. Sans se fier aux principes qui, en majeure partie, reposent sur les préjugés de notre temps, mais aussi sans les réprouver parce qu'ils appartiennent aux éléments du monde contemporain et à notre connexion avec ce monde, le plus sûr et le plus inébranlable fondement de toute paix consiste sans doute à se contenter avec une simplicité enfantine du pur lait des Evangiles, à se diriger d'après la lampe donnée par Dieu, non par les hommes, qui nous éclaire en un lieu obscur jusqu'à ce que le jour pointe et se lève l'étoile du matin; à jeter tous nos soucis sur Celui dont nous avons la promesse qu'il veille à notre destination comme à celle de nos proches; à s'en remettre à l'unique médiateur dont le sang parle de meilleures choses que le sang d'Abel, premier saint et martyr, à cette main1 paternelle qui nous libère d'un vain cheminement. C'est en quoi consiste l'Alpha et l'Omega de toute ma philosophie. Je ne sais et ne désire pas en savoir davantage. »
Ce qui est écrit par la main de Dieu, nul homme ne saura jamais l'effacer !
Le témoignage de la princesse Gallitzine sur les derniers moments du mage du Nord est touchant. Sa santé semblait pourtant satisfaisante depuis son arrivée en Wesphalie. La mort l'a surpris au moment où il s'apprêtait à quitter Munster pour Dusseldorf et Pempelfort, juste après avoir écrit un billet à Jacobi l'informant de son arrivée…
Lorsque la princesse entra dans la chambre, elle le trouva assoupi. Il avait la physionomie d'un bon pasteur, une sorte de Christ aux traits altérés mais qui avaient gardé leur pureté. Il lui demanda ensuite ce qu'il pouvait faire pour lui être agréable.
- Priez pour moi, dit-elle, et ne m'appelez plus Excellence, mais Amélie.
Il accepte en lui assurant toutefois que ses prières seront vaines…
Elle lui demande à son tour ce qu'elle peut faire pour lui être agréable. Elle lui a fait cadeau d'une très jolie pipe, il en tire quelques bouffées puis la confie à son fils, Hans Michael.
Il aurait aimé des pantoufles moins chaudes. La princesse lui fait prendre mesure et en commande aussitôt une paire en cuir. La conversation s'engage alors sur leur sujet favori, la Bible.
Dix heures sonnent. Le vieux mage est fatigué. Il somnole.
La princesse veut se retirer mais un pressentiment la tenaille.
Elle le quitte après lui avoir baisé les mains. Le lendemain, le dimanche matin 22 juin, ayant appris que le thaumaturge est au plus mal, elle accourt à son chevet.
Il parle d'une voix sourde et effacée…
Il étreint les mains de son amie. La situation empire lentement.
La joute est close…
Une sorte de soulagement s'empara alors de lui comme s'il apercevait cette main surgie de nulle part. Chacun retenait son souffle. Quelques sourires mélancoliques semblaient flotter au-dessus du lit puis sa main demeura un instant en suspension dans l'air avant de retomber sur le lit. [...]
4C'est le comte Waldstein qui, à la fin du XVIIIe siècle, favorisera les débuts de Beethoven ( lui aussi franc-maçon ) à Bonn, puis il l'enverra étudier à Vienne et l'introduira même dans la haute noblesse viennoise. Reconnaissant, Beethoven lui dédiera une Sonate, opus 53.
1La planche était une pièce ou opuscule écrit envoyée par une Obédience, loge ou encore un frère. Une planche d'architecture était un discours prononcé en loge.
2Le vieillard – en l'occurrence Hamann. Une fois de plus, force est de constater que le mage est bel et bien à la merci de la camarde au moment des faits et non cet homme de cinquante ans si l'on se réfère à la date de naissance» P.594. J.G.Hamann de J. Blum. « S'il plait à Dieu, écrivait-il au jeune homme, nous en reparlerons de vive voix »
1Coffret de bois garni à son entrée d'une grille qui soutient en l'air ce qu'on veut parfumer. Au bas de ce coffre est une petite ouverture, par laquelle on passe une chaufferette pleine de feu, où l'on met brûler des pastilles
2Telles que les Razoumowsky et Ysoupof (ou Youssoupoff). Le fils, Nicolas Youssoupoff, qui allait devenir ambassadeur à Turin, épousera en 1791 la sœur de Varvara Gallitzine
1Johann-August Stark, Pasteur membre de l'Ordre Illustre de la Stricte Observance Templière Ab Aquila Fulva -
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1 - Ah ! Puisse m'apparaître la main, s'écrie Hamann, une main qui m'enseigne à marcher sur le chemin de l'existence humaine !